Dans le monde du BIM, la donnée apparaît comme le nerf de la guerre. Sa gestion, son stockage, son partage, sa sécurisation sont autant de leviers à maîtriser pour une parfaite assimilation du BIM. Maîtres d’ouvrage, bureaux d’études, entreprises, assureur, notaire étaient réunis à Toulouse pour évoquer les tenants et les aboutissants de ces enjeux déterminants pour la réussite du BIM.
ToulouseTable ronde
Stockage, câblage, partage : quels réglages ?
Comment définir les bons périmètres ?
En plus des collaborations classiques, entre personnes humaines, la démarche BIM implique des échanges et des coopérations dématérialisés, via une multitude de données. Se pose alors la question de leur stockage et de la réglementation de leur accès. Qui a le droit de lire et/ou de modifier l’information produite ? Comment contrôler ces accès ? Tous ces paramètres nécessitent investissements et réglages. « Le SICOVAL, très ouvert aux nouvelles technologies, s’est de longue date posé ces questions, a témoigné Jacques Oberti, Président de SICOVAL, communauté d’agglomération du sud-est toulousain. Nous avons dû nous doter d’outils de stockage et de moyens de sécurisation de nos données. »
L’inclusion numérique, passage obligé de la réussite du BIM
Le niveau d’investissement, matériel et humain, de même que la configuration des accès aux données dépendant évidemment de la taille des acteurs concernés. Les petites entreprises du secteur du bâtiment ne disposent pas des mêmes moyens que le SICOVAL. Or, pour que l’écosystème du BIM fonctionne, il faut qu’il associe très largement, selon Jacques Oberti, tous les acteurs de la construction : « Nous avons toujours été attentifs à ce que tout le monde progresse dans l’usage du numérique, a t-il-insisté. Pour cela, nous avons travaillé avec les fédérations du bâtiment, les chambres consulaires et tous les acteurs du territoire, pour que toutes les entreprises soient associées au BIM et y trouvent leur intérêt. » Malgré les bonnes intentions, l’objectif reste difficile à atteindre, notamment pour les artisans qui se trouvent tiraillés entre l’injonction de se mettre à la page du BIM et la contrainte économique induite : « J’ai très vite compris les enjeux du BIM, note Pierre Mas, plombier chauffagiste, c’est pourquoi je me suis équipé d’un scanner 3D. Mais, en même temps, je dois avouer que j’ai très peu de chantiers BIM. » Face au coût d’acquisition du matériel informatique et des logiciels, d’un côté, au petit nombre de chantiers en BIM, de l’autre, il n’est pas étonnant que les artisans, qui assurent 95% des chantiers du bâtiment, soient encore très peu nombreux à franchir le pas.
Quelles précautions pour une bonne sécurisation
A qui doit-on demander de montrer patte blanche ?
Le partage des données fait partie de l’ADN du BIM, processus collaboratif par nature. Cependant, cela signifie-t-il que tout un chacun peut avoir accès aux données mises en partage ? À l’occasion d’un chantier de rénovation d’un aéroport, par exemple, toutes les entreprises présentes doivent-elles avoir accès aux plans de sécurité ? Comment faire pour éviter que certains acteurs aient accès à certaines informations, tout en permettant à d’autres de s’en saisir ? « Nous n’en sommes en tout cas pas à ce niveau de maturation, a confié Alain Pisson, BIM Manager chez Airbus. Nous avons des données que nous échangeons, avec pour seule garantie le respect des bonnes pratiques ; et nous avons des données confidentielles que nous ne partageons pas avec l’extérieur. » « Dans les collectivités locales, où la tendance est inversement à l’open data, a estimé Jacques Oberti, nous sommes dans une dynamique de mise à disposition des données. Pour autant, nous restons sur de vieux principes de partage des données avec les entreprises qui répondent à nos marchés et nous fonctionnons sur la base de la confiance. »
Comment se prémunir contre d’éventuels piratages ou attaques ?
La sécurisation des données, qui ne semble donc pas encore vraiment anticipée, exigerait « la mise en place de processus stricts, juge Julien Mercier, dirigeant fondateur d’IM-PACT. Certaines solutions pourraient préconiser le stockage des données chez le maître d’ouvrage, qui en autoriserait la consultation mais pas le téléchargement. La solution de la sécurisation par cryptage sur le modèle de la blockchain est une autre piste. Mais les gens ne sont pas encore prêts, nous vivons une période charnière. » À ce stade, pour se prémunir de potentielles attaques, les spécialistes recommandent, aujourd’hui, « d’avoir une bonne hygiène informatique, comme l’a prescrit Brice Baudry, responsable commercial SMA BTP. Il faut des mots de passe sécurisés très forts, mettre à jours ses logiciels, ne pas ouvrir les pièces jointes qu’on ne connaît pas ; en somme assurer un véritable management informatique. »
Risques, responsabilité, propriété : le droit à l’heure du big data
La cyber-criminalité, mythe ou réalité ?
Si les assureurs, à l’instar de Brice Baudry, se réjouissent que le recours au BIM génère des constructions de meilleures qualités, qui connaitront in fine moins de sinistres, il s’inquiète en revanche de la recrudescence d’une cyber-criminalité qui prospère sur le terreau de la digitalisation et du partage des données. « 970 millions de personnes ont été victimes de cyber-criminalité en 2017, a prévenu le représentant de SMA BTP. Le nombre des entreprises du BTP qui subissent des attaques augmente considérablement. Cela a un coût important pour une partie d’entre elles, sans compter les vols de données, la détérioration des systèmes informatiques et le développement d’une cyber-extorsion. » Des chiffres et un constat qui appellent des mesures qui sont en cours de réflexion.
Tous responsables, tous propriétaires ?
À partir du moment où la donnée est collective, quel est l’acteur qui en est responsable ? Et comment assurer la propriété intellectuelle des concepteurs qui l’ont partagée ? Ces questions, très nouvelles dans le monde de la construction, laissent apparaître un vide relatif. Car, si de « nouveaux schémas contractuels d’assurance apparaissent », note Brice Baudry, l’offre d’assurance ne semble pas s’être encore vraiment adaptée aux enjeux nés du BIM. Il en va de même du droit de la propriété intellectuelle : « Aucune réglementation spécifique relative à la propriété intellectuelle de la donnée BIM n’existe, a attesté Maître Hubert Letinier, de la chambre des notaires de Toulouse. Faut-il d’ailleurs une réglementation spécifique ou peut-on transposer une loi existante ? » Régime de l’œuvre de collaboration, de l’œuvre composite ou de l’œuvre collaborative, le code de la propriété intellectuelle prévoit des solutions qui peuvent s’adapter. « L’essentiel est de contractualiser les choses », a insisté le notaire. D’autant qu’à ne pas considérer le problème à sa juste valeur, on risque de provoquer des blocages, selon Julien Mercier : « Si les architectes ont peur de se faire voler leurs données et leurs objets, ils risquent de ne pas s’engager dans le BIM. »
Autour de la table
Tandis qu’Alain Pisson, BIM Manager chez Airbus, a témoigné des pratiques au sein d’un grand groupe qui utilise le BIM depuis
longtemps pour l’exploitation de ses bâtiments, Pierre Mas, plombier chauffagiste, membre de la CAPEB, a apporté le regard d’un artisan sur le sujet. Jacques Oberti, Président de SICOVAL, la Communauté d’agglomération du Sud-est toulousain, a, de son côté, fait part des avancées et des tâtonnements vécus par une collectivité territoriale impliquée de longue date dans l’utilisation des nouvelles
technologies. Julien MERCIER, dirigeant fondateur d’IM-PACT et pilote du groupe de travail de la fédération Cinov sur le BIM, a remis en perspective les débats autour du BIM par rapport à l’évolution du secteur du bâtiment. Enfin, Brice Baudry, responsable commercial SMA BTP, et Maître Hubert Letinier, Chambre des notaires de Toulouse, ont dressé l’état des lieux des réponses apportées par les
assureurs et les notaires aux questions posées par le BIM.
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Quelle pérennité pour les données ?
Alors que le fait de pouvoir annexer à un bien – au moment de sa vente - des fichiers numériques, qui renferment de nombreuses informations précieuses sur le bâtiment, apparaît comme un réel atout, la conservation de ces données pose aujourd’hui problème. « Nous avons la possibilité d’annexer un fichier à un contrat, a témoigné Maître Hubert Letinier, de la chambre des notaires de Toulouse, et nous pouvons conserver ces fichiers, mais comment garantir que nous pourrons les lire dans 10 ou 15 ans ? » En plus des questions de sécurisation et de propriété intellectuelle, cette problématique technique nécessite de trouver une réponse pour assurer la pertinence du BIM dans le temps.