Réunis autour de la même table ou par écrans interposés, les participants à ce débat
ont témoigné, en fonction de leur propre expérience – d’assureur, d’éditeur, de juriste,
de bureau d’études - des évolutions induites par le BIM en matière de gestion des
risques et des responsabilités. Ils ont aussi envisagé des pistes d’amélioration, prônant
la coopération pour assurer des perspectives de travail sereines à tous les acteurs.
Table rondeOrléans
Responsabilité et gestion des risques : qu’est-ce que le BIM a changé ?
Contrairement au modèle traditionnel de gouvernance des projets, basé sur le triptyque « un acteur, une mission, une responsabilité », le BIM exige une organisation transversale, laquelle transforme d’autant plus ce schéma qu’elle s’appuie sur une quantité infinie de données partagées. Au-delà de la technicité et du degré de précision apportés par le BIM, c’est donc bien la dimension intrinsèquement collaborative du BIM qui, selon Maitre David Richard, rebat les cartes de la gestion des risques et du partage des responsabilités. Comment demain, en cas de litige au sujet d’un bâtiment construit en BIM, les magistrats décortiqueront-ils cette nouvelle imbrication des acteurs ? « Pour que le chantier fonctionne au mieux, mais aussi pour qu’un magistrat s’y retrouve, a posteriori, le processus contractuel devient plus que jamais fondamental, a insisté Olivier Lefebvre de la Mutuelle des architectes français (MAF). Il y a toujours eu besoin de contrat, mais avec le BIM il faut une répartition particulièrement claire de qui fait quoi, quand et comment. » Y compris sur la production et l’usage des données : « Imaginons qu’un acteur utilise des données de la maquette pour un usage qui n’était pas prévu au départ, a pris pour exemple Julien Mercier, vice-président de la Fédération Cinov. Si finalement cet usage ne fonctionne pas, qui sera responsable ? Il y a une porosité au niveau des données, avec des zones grises qu’il faut clarifier, sans attendre que la justice nous interpelle. »
Charte, cahier des charges, convention et BIM manager : comment sont aujourd’hui délimitées les responsabilités ?
En complément des contrats classiques qui lient le maître d’ouvrage et les différents intervenants, que l’opération se fasse en BIM ou non, il faut, sur un marché en BIM, une charte BIM et un cahier des charges BIM, pour définir les objectifs BIM de l’opération. Puis les acteurs adoptent une convention BIM plus opérationnelle, rédigée par la maitrise d’oeuvre et pilotée par le BIM Manager. « Aujourd’hui, je pense que les conventions BIM ne détaillent pas assez les droits et devoirs de chacun, a jugé Julien Mercier. Il ne faut pas seulement décrire ce qu’on va faire, mais être capable d’évaluer la responsabilité de chacun vis-à-vis des autres. Il faut associer à chaque producteur et à chaque utilisateur de données les responsabilités qui sont les siennes. » Qu’en est-il par ailleurs du rôle et de la responsabilité du BIM manager ? Tout dépend des contours de son poste : se limite-t-il à contrôler les maquettes ou opère-t-il des paramétrages, qui peuvent être lourds de conséquences ? Simple coordinateur ou concepteur, telle est la question ! En fonction de la réponse, le rôle et les responsabilités du BIM manager ne seront pas les mêmes. « A la MAF, nous disons à nos adhérents que le BIM manager n’est pas un concepteur, a souligné Olivier Lefebvre. S’il fait à la place des autres, pour faire avancer la maquette, alors il franchit la ligne rouge et se retrouve du côté des constructeurs... » Avec les incidences en termes d’assurance que cela suppose... Face à ce flou, « les maîtres d’ouvrage demandent de plus en plus que le BIM manager, quel que soit le périmètre de son intervention, soit assuré avec la garantie décennale, a indiqué Maitre Richard. D’ailleurs, en tant qu’avocat, quand on recherchera les responsabilités, on se demandera si le problème est lié ou pas au processus BIM. Et si la réponse est oui, tout le monde cherchera à engager la responsabilité du BIM manager. » Entre la théorie, présentée par le représentant de la MAF, et la pratique, esquissée par Maitre Richard, la table ronde d’Orléans a bien confirmé qu’un flou demeure sur les responsabilités du BIM manager. Rares sont d’ailleurs les pays à l’avoir dissipé, si ce n’est, peut-être, le Royaume-Uni dont la jurisprudence considère que le BIM manager n’est ni le producteur, ni le propriétaire des données. « Il est ainsi considéré, selon Maitre Richard, comme le maître d’oeuvre de la donnée. »
Quelles perspectives d’évolution selon les différents acteurs ?
Sensibilisés à la problématique, les éditeurs adoptent « une position très pragmatique », comme l’a expliqué Emmanuel Di Giacomo, d’Autodesk : « Nous analysons comment les gens travaillent avec nos solutions, pour s’assurer que la méthodologie et le process utilisés sont les bons, de manière à pouvoir intervenir si nous repérons un défaut d’utilisation de nos solutions, notamment à travers des sessions de formation. » Parce qu’on ne s’improvise pas BIM manager ou BIM coordinateur, Autodesk rappelle toujours à ses clients qu’ils doivent s’assurer d’avoir les bonnes compétences pour utiliser « sans risque » ses outils. D’où le rôle central désormais du BIM manager ou de profils équivalents, y compris chez les maîtres d’ouvrage. Plus largement, face à la tendance actuelle d’un monde régi par l’open data, Emmanuel Di Giacomo a souhaité insister sur les chaînes de responsabilités en cascade qui se dessinent : « Un BIM manager va stocker ses données sur un serveur, qui va s’appuyer sur des data center qui appartiennent à des grands groupes... alors qui a la responsabilité de la sécurité de ces données ? a t-il interrogé. À mon sens elle est partagée ! » Côté assureur, au contraire, le but va être de les départager... Toute la question sera de savoir « quelles vont être les éventuelles nouvelles responsabilités des constructeurs et du BIM manager », a résumé Olivier Lefebvre. Fort de l’expérience acquise, dans les années 1990, avec l’apparition d’un nouvel acteur, les coordinateurs SPS (sécurité protection santé), le monde de l’assurance s’est interrogé les contours des responsabilités en jeu dans la construction. Pour le coordinateur SPS, hier, comme pour le BIM manager aujourd’hui, « il s’agit de savoir comment le contrat est fait, avec les missions précises du BIM manager, a martelé l’assureur. C’est pourquoi à la MAF, nous avons proposé des contrats-types d’AMO BIM ou de BIM manager pour les protéger et leur éviter de mettre le doigt dans un engrenage qui pourrait les amener à être condamné. » Du point de vue juridique, Maître David Richard a prôné l’avènement, à l’instar du Royaume-Uni, d’une approche plus collective des enjeux de sécurisation et de responsabilisation. Un positionnement que Julien Mercier, représentant de la Fédération Cinov, a repris à son compte, appelant de ses voeux la constitution d’un groupe de travail sur le sujet, pour « ne pas passer à côté de ces problématiques, dont le risque est réel. »
Autour de la table
Ont participé à cette table-ronde, en
présentiel, Olivier Lefebvre, rédacteur hauts
risques financiers, Mutuelle des architectes
français, et Julien Mercier, vice-président de la
Fédération Cinov, en charge de l’innovation,
animateur de la Commission. Maître
David Richard, avocat au barreau de Paris,
docteur en droit, expert des domaines de la
construction, de l’immobilier et de l’urbanisme,
et Emmanuel Di Giacomo, responsable Europe
Développement des écosystèmes BIM chez
Autodesk, sont intervenus à distance.